A propos du prix des bières

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< Article écrit en 2015, mis à jour en 2018 – on attend d’avoir un peu de recul sur notre SCOP pour la prochaine mise à jour >

Client adoré,

Tu le sais, nos tarifs sont « sympas ». Et en plus de 6 ans, nous avons à peu près tout entendu à ce sujet.
Il y a ceux qui nous soupçonnent de magouiller et ceux qui nous y invitent (et se disent « gauchistes » – faut croire que ça sonne mieux que « bobo »).
Il y a aussi ceux qui nous trouvent pingres de refuser la tournée vu qu’ils ont lâché 40 balles à 4, et bien sûr ceux qui nous donnent des leçons de courtoisie et n’ont que notre gros tiroir-caisse à la bouche (1).

Si une carrière honnête de dealer d’alcool n’est pas aussi lucrative qu’on pourrait le croire, il est effectivement possible de survivre en restant petit, voire même de vivre avec de faibles marges… SI ET SEULEMENT SI… tes charges fixes te le permettent.

       LES CHARGES FIXES 

Principalement les salaires, le loyer des murs et le remboursement des investissements (gros travaux, achat du fonds de commerce, gros matériel… ).
C’est pas les travaux qui nous étouffent au SC, hein client avisé, ni le remboursement d’emprunt car nous ne sommes pas propriétaires, nous louons le fonds de commerce et les murs. Là se situe notre spécificité d’ailleurs, car cela  implique une précarité, et donc une difficulté de projection et d’engagement sur des… charges fixes.
Pour faire clair le réel effort du SC à ce jour c’est la masse salariale.
Le renfort depuis 2015 par Monsieur Damien a soulagé l’emploi du temps, et ok, Monsieur François a pris quelques grammes ces derniers mois (c’est lui qui le dit). Mais tu vois toujours les mêmes têtes n’est-ce pas ? Parfois un brin usées d’être trop longtemps sous tes yeux, car les jours off nous coûtent. Pourtant comme d’autres du métier on ne se paye guère plus que le smic hotelier. Quant à l’associé Philou, ahah ! l’est pas près de voir tomber un dividende. Lui non plus n’a pas signé pour ça, ça tombe bien.

Est-ce à dire que nos camarades craft-limonadiers aux tarifs au-dessus se gavent et glandent ? Loin s’en faut et tu le sais fort bien, client ubiquiste. Sans même parler des cavistes et des distributeurs indépendants qui galèrent un peu plus dans un marché complexe, les choses sont faites ailleurs dans un autre schéma. Parfois avec plus de personnel, des plages d’ouverture énormes, et/ou plus de réflexion, plus de soin, plus de temps pour explorer les brasseries et les mettre en valeur. Puis quoi qu’il en soit, les investissements de départ et les loyers diffèrent de l’un à l’autre… Des jugements hâtifs te garder tu dois.

Le gros des travaux en 2015 : on a abrégé les souffrances du regretté Paul Doumer.
Le gros des travaux en 2015 : on a abrégé les souffrances du regretté Paul Doumer.

 

2018 : 3 becs de plus.
2018 : vers l’infini et… ahem… 3 becs de plus, BOUM

 

Parlons maintenant de la seule chose qui t’intéresse, au fond, client assoiffé…

          LES CHARGES VARIABLES, ou grosso-modo chez nous : LA BIBINE

Au commencement, nous n’étions pas seuls mais presque. Des projets étaient en cours à Paris mais il n’y avait que l’Express de Lyon qui servait des bières artisanales en mode licence IV. N’étant pas du métier, nous avions établi un prévisionnel financier qui semblait juste et viable, notamment en lissant les tarifs, c’est à dire en proposant des gammes de prix et non un prix pour chaque prix d’achat de notre côté.
Cette politique était jouable, elle simplifiait un chouïa la compta et permettait d’inciter le néophyte-étudiant-crevard comme le chef-de-projeyy-chouffophile à goûter des trucs différents sans trop se préoccuper du prix.

Cette politique est viable, la preuve, mais elle n’est pas la plus juste.
Passons rapido sur les palettes de bières en provenance de lointaines contrées sauvages telles que le Jura, la Savoie ou l’Ardèche que l’on paye entre 150 et 250€, Dieu merci notre super cave nous permet d’en faire venir deux à la fois.
Contrairement à ce que tu crois, client bienveillant, le prix auquel nous achetons une bière artisanale n’est pas forcément beaucoup plus haut que celui d’une bière industrielle « moyenne gamme », ou celui des fameuses « bières de spécialité » (quelle spécialité, j’ai jamais compris. Celle des sucres résiduels peut-être ?).
Mais si tu ne devais retenir que deux éléments, les voici :
1- le coût de production desdites bières indus est très TRÈS largement plus bas que celui d’une artisanale.
2- le prix auquel le patron de bar à produits artisanaux achète sa came ne varie pas en fonction de ses accointances avec le VRP de EnBoive Corp et du nombre de verres laidement logotés qu’il a lâché (2), mais des prix fixés par ses fournisseurs. Et tu t’en doutes, nos petits artisans-brasseurs n’ont pas du tout la même marge de manœuvre.

Eux-mêmes fixent leurs prix en fonction de leurs…

… charges variables :  pour fabriquer une bonne bière, jeune client, il faut de l’eau, de la levure, beaucoup d’amour et…
> du malt de céréale : bio ou pas bio, ça joue, mais c’est son rendement (ce que tu peux tirer du grain) et sa provenance qui font varier son coût. Bien sûr les grosses malteries tirent plus facilement les prix, mais la qualité n’est pas toujours au rendez-vous, en France du moins. Et comme il s’agit d’une technologie particulière, les petites malteries indépendantes ne fournissent pas, à ce jour, une qualité constante. Espérons que l’engouement naissant pour la bière artisanale leur donne un coup de pouce…
> du houblon. Chacun a son arôme et ses propriétés plus ou moins merveilleuses, et certains sont plus tendance comme on dit chez Vice. D’autant que la mode est aux bières qui en contiennent un paquet (les fameuses IPA là, tsé…). Plus t’en mets, plus la variété choisie est rare et plus ça coûte, mais les quantités sont en général trop petites pour faire vraiment varier le coût final. Il peut cependant s’avérer compliqué de réitérer ce brassin magique, houblonné au Nelson Sauvin et autre saveur exotique quand on est trop petit pour accéder au stock face aux grosses machines à IPA des US.

Les charges fixes des brasseurs : c’est là le nœud de l’histoire, tout autant que pour nous autres revendeurs.
D’une part, l’artisan-brasseur paye un loyer qui varie comme le tiens, habitant de Plouye-en-Faisselle ou Parigot Périph’ sauf que son activité prend plus de place que ta collèque de vinyles, sans parler de son matériel spécifique et horriblement cher.
D’autres part, brasser et livrer ses bières est un gros boulot. Beaucoup d’énergie et d’argent peuvent être économisés par un effet d’échelle, avec un bon gros matos et plein d’espace, sauf que les banques françaises ne prêtent pas facilement aux petits en général et aux trendsetters en particulier.

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Weyermann, grosse malterie teutonne où se fournissent pour tout ou partie Ouroboros, Craig Allan, et d’autres… C’est cher mais c’est de la bonne came à qualité constante.

Enfin, précisons-le même si le Supercoin n’est pas tellement concerné avec sa carte nationale à 90%  (3) et sa super grande cave : ta fabuleuse Liquid Mistress de chez Siren Craft Brew ne traverse pas la Manche à la nage. C’est DBI qui la fait venir (tout comme notre Kout craft pils tcheque), et pour ce distributeur comme pour les autres petits indépendants, en plus des frais de douane et tout ces trucs migratoires, la problématique est la même : louer un entrepôt en Ile de France, acheter un camion et payer le personnel qui se pète le dos à livrer tout ça.

Ok, mais…

 QUID DES TARIFS AU SUPERCOIN ?

Jusque là, la rotation sur 3 becs et notre politique de lissage des prix bridait un peu notre fantaisie à vrai dire. Aussi ces 3 nouvelles options vont-elles changer un peu la donne.

Ce qui ne va pas changer :
– le prix de la Kout 10, blonde classique et néanmoins goûteuse : 2.5€ les 25cl et 4€ les 50cl (2€ / 3.5€ en happy hour)
– le prix d’au moins 2 à 4 autres becs : 3,5€ les 25cl et 7€ les 50cl (3€ / 6€ en happy hour)
– le prix des bouteilles : la majorité des 33cl à 5€, celle des 75cl à 10€
– le perçage de fûts non-français (hors Kout 10) : on s’est jamais interdit de faire des événements impliquant des traversées de frontières même si certains aiment à nous prendre chaque fois en défaut comme si l’on avait un jour juré la main sur le cœur de ne jamais faire mousser que des bières autochtones (3).  D’ailleurs ce sont ces mêmes « certains » qui viennent les vider dès qu’on les branche.

tenor

 

Ce qui va changer : 
– la diversité des styles
– le prix de certaines, qui passeront à 4€ les 25cl / 8€ les 50cl, et il n’y aura pas d’happy hour dessus.
– le nombre d’événements autour de la bière.
– le prix du sourire : désormais c’est payant.

Meuhhh non, on blague ! On sourira pas plus, t’inquiète !

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(Mais quand on le fait c’est gratos)


***

(1) On la connaît, cette aigreur de l’employé niveau 3 échelon 2 à la COGIP qui s’imagine que les commerçants et les indépendants en général se font des « couilles en or », en plus d’avoir un boulot sexy. On lui en veut pas. Déjà, parce qu’on a effectivement un boulot sexy (et encore, tu nous as jamais croisés aux heures chaudes de la journée, gantés de latex jaune et affairés « en bas »). Ensuite, parce qu’à peu de sources près, dans notre cher pays c’est patrons vs salariés, politique cynique vs sans dents & pauvres cons, chasseurs vs écolos, hipsters vs hipsters, etc.
Ajoute à ça que le mal être et l’aigreur n’aident pas au discernement dans une réalité vachement plus nuancée… Toi même tu sais client humain.

(2) Les contrats « brasseurs » = l’une des 10 plaies d’Égypte.
Des  jeunots viennent parfois nous demander conseil parce qu’ils s’apprêtent à faire comme nous, réaliser leur rêve. Ils ont des idées mais pas de pétrole, et là je les arrête net : le nerf de la guerre c’est la monnaie, la monnaie, et encore la monnaie.

« Oui, mais on m’a parlé d’une sorte de prêt à taux zéro là, le « prêt-brasseur ».
– Je sais, je sais, petit scarabée… Le business est-il un outil pour réaliser ton rêve ou ton rêve est-il de faire du business ? Réfléchis bien, avant de passer du côté obscur de la force (de vente). »

Ce « brasseur » là est en fait un gros distributeur. Il fait aussi parfois office d’agent immobilier des « Café Hôtel Restaurant ». En vrai ce sont les millions, qu’il brasse. Aussi te fait-il signer un contrat d’exclusivité sur la bière que tu vends, à savoir * insérer une bière indus lambda *, dont le prix variera selon ta position de force avec lui. Tu as 300m2 à Saint-Mich’ ? C’est bon, tu peux négocier. Tu brigues 50m2 à Marx Dormoy ? Tu n’es rien. Tu achèteras ta flotte chimique maltée à des prix parfois déraisonnables, car si tu coules, il s’en fout, il rachète ou fait racheter le lieu que tu as commencé à faire vivre. Rassure toi, s’il t’a prêté du fric, il sera vaguement bienveillant, et te fournira notamment la verrerie et le store gratos. De toutes façons ça lui coûte rien, c’est l’agro-industrie qui paye.

(3) Cette préférence de la mousse nationale a deux fondements :
– Primo, on privilégie le circuit court. Et là, client circonspect, tu te dis qu’on se fiche bien de toi vu que pour Paris, le bilan carbone d’une super pinte de Bruxelles est meilleur que celui d’une super pinte du Tarn. Certes, mais la majorité de nos bières viennent d’île de France et puis…
– Deuxio, on privilégie le contact direct et la confiance. Quand on a ouvert début 2012, il n’y avait qu’environ 300 brasseries en France (aujourd’hui plus de 1300). Elles étaient peu nombreuses, mais surtout très peu connues à Paris. Partant de l’envie de les faire découvrir à nos compatriotes parigots (i.e. normands, girondins, bourguignons, antillais, anglais, belges, bretons, jurassiens… voire marseillais), nous avons eu la chance de lier amitié avec un pourcentage faible mais fiable de ces pionniers, avec qui nous bossons encore aujourd’hui.
Cela ne nous empêche pas d’avoir des contacts directs et même de l’amitié avec des distributeurs indépendants.